Vision de la Folie





Nous allons désormais découvrir le regard que portait la société sur la folie à partir de la fin du XIIIème siècle, puis nous nous intéresserons plus spécifiquement à deux auteurs du XIXème et XXème siècles, Michel Foucault et Antonin Artaud, qui ont tout deux écrit sur le sujet.

En 1789, la Révolution Française annonce le début d’une préoccupation publique pour les personnes atteintes de troubles mentaux, alors appelées « insensées ». On pense alors que le fou est un être malade qui doit être séparé des vagabonds pour être soigné, et que la folie est curable.

Après la Révolution, en 1810 : Code pénal stipule en son article 64 « (qu’) il n’y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu était en état de démence ». Huit ans plus tard, le Dr Etienne Esquirol, ancien élève de l'Ecole de médecine de Paris, recense dans son rapport neuf établissements exclusivement réservés aux aliénés. En 1834, le Dr Ferrus dénonce les qualités de vie et de traitements des « insensés». En janvier 1837, le ministre de l’Intérieur déclare: « Les malheureux aliénés, tantôt sont jetés dans des cachots pour prévenir les dangers que leur divagation pourrait occasionner, tantôt sont abandonnés sur la voie publique, spectacle digne de pitié, qui offense à la fois l’humanité, l’ordre social et les bonnes mœurs ».

En effet, ce n’est qu’au XIXème siècle que la folie est assimilée à une « maladie mentale », avec la reconnaissance de la psychiatrie en tant que science. La folie est alors sensée être expliquée par des lésions cérébrales, c’est-à-dire par la destruction plus ou moins étendue du tissu nerveux, entrainant un déficit au niveau du cerveau. Elle est ainsi réduite à une dégénérescence, à une déficience héréditaire. La folie est alors un peu mieux acceptée par la société, car elle apparait moins dangereuse, en raison de sa toute nouvelle explication scientifique. Psychiatrisée au XIXème , la folie devient « possibilité » au XXème siècle, à savoir produit mélangé de contextes, du « traitement social » et de la « vision romantique ».

En 1961 parait L’Histoire de la folie à l’Age Classique, premier ouvrage théorique de Michel Foucault, philosophe français et auteur en sciences humaines. Cette thèse de doctorat apparait également comme son premier ouvrage important. Il y retrace, à partir du Moyen-âge, les conditions de vie, mais surtout d’exclusion, d’asociaux tels que les lépreux, les hérétiques, les libertins, les homosexuels, les criminels, les schizophrènes… à l’époque tous considérés comme fous. Ces confusions, dues à la peur de la différence, sont évidement la cause de nombreux problèmes quant à la gestion de ces différents cas. Il décrit l’histoire de la folie, les actes d’exclusion et de ségrégation fondés sur cette différence de la «normale », terme que l’on ne peut bien sur pas définir en tant que tel. Foucault défend que, selon lui, il faut considérer le fou comme un être vivant et pensant, comme un sujet situé dans un contexte humain réel: « De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou.

M. Foucault
(1926-1984)
                                  
    « Jamais la psychologie ne pourra dire sur la folie la vérité, puisque c’est la
    folie qui détient la vérité de la psychologie.» M. Foucault.






                                                                                               







Figure emblématique de l’artiste incompris, Antonin Artaud est un poète, romancier, acteur, dessinateur et théoricien du XXème siècle. Par la poésie, le théâtre, le dessin… il transforme fortement la littérature, le cinéma et le théâtre. L’esthétique d’Arnaud se construit avec un constant rapport au surréalisme, dont il s’inspire d’abord, aux coté d’André Breton, puis qu’il décide de rejeter, expliquant que « (les surréalistes) aiment autant la vie que je la méprise. » La rage de vivre d’Artaud se caractérise en effet plus par la souffrance et l’angoisse incurables, plutôt que la recherche de la beauté et de l’émerveillement propre aux surréalistes. En effet, il souffrait depuis son adolescence, de constants maux de tête, qu’il tente d’atténuer par des injections médicamenteuses diverses. La douleur qui en résulte pèsera sur ses relations, comme sur ses créations. Durant plus de neuf ans, il est interné en asile psychiatrique, où il subira des perpétuelles séries d’électrochocs.

Ces épreuves personnelles l’ont guidé dans beaucoup de ses écrits, et plus particulièrement dans son étude en forme de poème consacrée au peintre Van Gogh, dont la carrière constellée de crises dues à son instabilité mentale finit par le pousser au suicide à l’âge de 37 ans. A travers Van Gogh, le suicidé de la société, Artaud souhaite démontrer que le peintre, tout comme lui, ne sont pas à proprement parlé des fous. Cette soi-disant démence serait selon lui le nom que la société impuissante prête au génie créatif qu’ils possèdent tous deux, et dont elle préfère étouffer le cri. En effet, nul autre qu’Artaud n’a su trouver les mots justes pour décrire les œuvres souvent incomprises de l’artiste peintre. Dans son livre, il s’applique de manière prodigieuse à décrire le tableau Le champ de blé aux corbeaux, peint en 1890, deux jours avant le suicide de Van Gogh.


                                                                  Van Gogh, Le champ de blé aux corbeaux


« Ces corbeaux (…) ouvrent à la peinture peinte, ou plutôt à la nature non peinte la porte occulte d’un au-delà possible, d’une réalité permanente possible. (…) Il n’est pas ordinaire de voir un homme avec, dans le ventre, le coup de fusil qui le tua, fourrer sur une toile des corbeaux noirs avec au-dessous une espèce de plaine livide peut-être, vide en tout cas, où la couleur lie-de-vin de la terre s’affronte éperdument avec le jaune sale des blés.

Mais nul autre peintre que Van Gogh n’aura su comme lui trouver, pour peindre ses corbeaux, ce noir de truffe, ce noir de "gueuleton riche" et en même temps comme excrémentiel des ailes des corbeaux surpris par la lueur descendante du soir.

Et de quoi en bas se plaint la terre sous les ailes des corbeaux fastes, fastes pour le seul Van Gogh sans doute et, d’autre part, fastueux augures d’un mal qui, lui, ne le touchera plus ?

Car nul jusque-là n’avait comme lui fait de la terre ce linge sale, tordu de vin et de sang trempé.
Le ciel du tableau est très bas, écrasé,
violacé, comme des bas-côté de foudre.
La frange ténébreuse insolite du vide montant d’après l’éclair. (…)
Tout le tableau est riche.
Riche, somptueux et calme le tableau.

Digne accompagnateur à la mort de celui qui, durant sa vie, fit tournoyer tant de soleils ivres sur tant de meules en rupture de ban, et qui, désespéré, un coup de fusil dans le ventre, ne sut pas ne pas inonder de sang et de vin un paysage, tremper la terre d’un dernière émulsion, joyeuse à la fois et ténébreuse, d’un goût de vin aigre et de vinaigre taré. (…)

Et qu’a voulu dire Van Gogh lui-même avec cette toile au ciel surbaissé, peinte comme à l’instant précis où il se délivrait de l’existence, car cette toile a une étrange couleur, presque pompeuse d’autre part, de naissance, de noce, de départ,

J’entends les ailes des corbeaux frapper des coups de cymbale forte au-dessus d’une terre dont il semble que Van Gogh ne pourra plus contenir le flot.

Puis la mort. »


A. Artaud
(1896-1948)

« Qui n’a pas été un jour terrifié par cette idée qu’il allait
                                un jour oublier sa vie ? » A. Artaud


Le Saviez- vous ?

Van Gogh, Artaud, Nietzsche, Maupassant, Nerval, Desnos, Hölderlin, Breughel, Bosch, Rousseau, Sade, Goya, Gogol, Kafka, Strindberg... La liste de ces artistes de génie qui ont flirté avec la folie ou qui ont succombé, vaincus par la démence est extrêmement nombreuse. L'on peut alors s'interroger: la folie serait-elle indissociable au génie ?